PARIS — Il a entre 30 et 50 ans, il est cadre, et il est persuadé de payer pour tout le monde. Depuis le mois de juin, “Nicolas”, personnage fictif représentant une part des Français qui se dit assommée par l’impôt, a envahi les réseaux sociaux.
L’expression “C’est Nicolas qui paie” s’est multipliée en ligne pour dénoncer les dépenses de l’Etat ou des collectivités, jugées excessives. Son objectif supposé : mettre l’Etat à la diète, notamment en ce qui concerne les dépenses sociales.
La tendance est telle qu’elle a poussé l’exécutif à s’intéresser aux inquiétudes de “Nicolas” — sans pour autant se les approprier.
Il faut dire que le mème “Nicolas qui paie”, qui circule depuis plusieurs années dans les sphères libertariennes, a explosé depuis plusieurs semaines. “Le compte Twitter et la punchline lui ont donné une incarnation”, estime un proche du président des Républicains, Bruno Retailleau. “Nicolas” a également été boosté par plusieurs reprises dans les médias et par des influenceurs très suivis. Selon l’agence de social listening Visibrain, sollicitée par POLITICO, 503 300 tweets sur le sujet ont été publiés depuis le début de l’année, avec une nette accélération au mois de juin.
Le créateur, sur X, du compte @Nicolasquipaie constate lui-même la viralité du mouvement : son compte culmine à quelque 70 000 abonnés. S’il défend une approche “satirique”, cet anonyme assume profiter de cette audience pour dénoncer “le poids sur les actifs du système de retraite par répartition”, “les aides sociales très nombreuses”, ou “l’utilisation du mot ‘gratuit’ dans les communications officielles, aux côtés de l’“insécurité croissante et la ‘mexicanisation’ du pays” indique-t-il par écrit à POLITICO.
Rapports réguliers
Interpellé par ce succès, l’exécutif garde un œil sur le phénomène, en s’accordant sur ses constats mais pas sur ses conclusions politiques. “Nicolas qui paie” est “le signe d’un ras-le-bol fiscal de la classe moyenne”, juge ainsi un conseiller élyséen auprès de POLITICO.
“Comme tout phénomène, cela fait partie de notre travail d’y être attentif”, note un deuxième conseiller de l’exécutif, qui ajoute que “ce n’est pas de la surveillance, c’est de l’attention”.
Si les services de lutte contre les ingérences étrangères n’ont pas reçu de signaux d’alerte particulier vis-à-vis du phénomène, le service d’information du gouvernement (SIG) transmet régulièrement des chiffres à l’exécutif sur l’évolution des sujets de débat en ligne, où “Nicolas qui paie” apparaît depuis plusieurs semaines.
Certains, au sein du gouvernement, jugent même que le signal envoyé est à prendre en compte dans les discussions sur le budget. Il permet de populariser “un constat que nous partageons”, estime le conseiller cité plus haut. A savoir que les actifs sont trop sollicités par l’impôt. “C’est un constat qui nous oriente dans les discussions budgétaires. Et avec ce budget, Nicolas paiera moins”, conclut notre interlocuteur, qui a demandé l’anonymat pour parler librement.
“Ce phénomène est surtout repris politiquement à l’extrême droite”, note toutefois une conseillère du parti Renaissance, pointant les relents racistes d’un schéma popularisé en ligne, dans lequel “Nicolas” finance les allocations sociales d’un “Karim, 25 ans” fictif.
De fait, un certain nombre d’influenceurs classés à l’extrême droite ont rapidement trouvé des points de convergence avec “Nicolas” : toujours selon Visibrain, les tweets les plus populaires sur “Nicolas” ont été publiés par l’éditorialiste du site d’extrême droite Boulevard Voltaire, Gabrielle Cluzel, et par Marine Chiaberto, proche du mouvement d’Eric Zemmour Reconquête!.
Le patron du média d’extrême droite “Frontières” Eric Tegnér s’est également saisi de l’expression en vogue en la déposant à l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi), avec pour objectif d’en tirer des produits dérivés.
Chacun sa lecture
Si l’exécutif reste à une distance prudente de l’expression, Bruno Retailleau, président des Républicains et ministre de l’Intérieur, se l’est appropriée. “A la rentrée, nous mettrons nos idées sur la table afin d’augmenter le temps de travail mais aussi le pouvoir d’achat des Français. Sinon […] c’est encore Nicolas qui va payer”, a-t-il indiqué dans un entretien au Figaro.
Le phénomène séduit en outre les adhérents de branches libérales de la droite et de l’extrême-droite, dont celle du maire de Cannes David Lisnard ou de l’UDR d’Eric Ciotti. Laurent Wauquiez l’a même reprise à son compte. Le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes y voit une critique de “l’assistanat”. Pour l’eurodéputée d’extrême droite Marion Maréchal, “Nicolas” illustre aussi le rejet de “l’immigration de masse”.
“Chacun met un peu sa propre clientèle” derrière l’expression “Nicolas qui paie”, estime le docteur en économie du MIT Antoine Lévy, qui a lui-même contribué à populariser son usage en ligne. “Quand les politiques la reprennent, ils ne sous-entendent pas tous la même chose”, note l’économiste.
Selon lui, la dépendance de certains partis politiques au vote des retraités — comme Renaissance, Les Républicains, et de manière croissante le Rassemblement national — explique leur frilosité à s’emparer complètement de la figure de “Nicolas”. Car, à l’origine, ce symbole se concentre sur la critique du régime des retraites, notamment de celles des “boomers”.
Pour autant, Antoine Lévy veut croire que l’argumentaire a porté ses fruits. Alors que les partis d’opposition avaient censuré le gouvernement de Michel Barnier en décembre, notamment au prétexte de la désindexation des retraites sur l’inflation, cette mesure a été remise sur la table par François Bayrou en juillet.
Cette fois-ci, elle n’a pas été la mesure la plus urticante des orientations budgétaires pour les oppositions, qui ont davantage concentré leurs coups sur la suppression de deux jours fériés pour les actifs.