BRUXELLES ― Le groupe d’extrême droite Identité et démocratie (ID) au Parlement européen a enfreint les règles de dépenses pour un montant d’au moins 4,3 millions d’euros, selon un rapport confidentiel obtenu par POLITICO. Les parlementaires étudient les moyens de récupérer l’argent.
Le rapport, rédigé par le service des finances du Parlement, indique que le groupe, dont étaient membres le Rassemblement national de Marine Le Pen et l’Alternative pour l’Allemagne, a enfreint les règles d’appel d’offres et a fait des dons irréguliers entre 2019 et 2024.
Ce qui complique l’affaire, c’est que le groupe ID s’est dissous après les élections européennes de l’année dernière, la majorité de ses membres et de son personnel ayant été absorbés par le nouveau groupe Patriotes pour l’Europe. La commission du Contrôle budgétaire du Parlement européen examine si ce nouveau groupe peut être tenu pour responsable.
“Le changement de nom ou la dissolution d’un groupe politique ne peut être utilisé pour esquiver les dettes et ni pour faire un usage inapproprié des fonds”, a estimé Niclas Herbst (PPE), président de la commission du Contrôle budgétaire. “Il est extrêmement important que nous demandions des comptes aux responsables. Si de l’argent a été indûment dépensé, nous voulons le récupérer.”
Contacté par POLITICO, le groupe Patriotes a publié une réponse sur les réseaux sociaux. Il se dit victime d’une “chasse aux sorcières” motivée par des considérations politiques et a affirmé qu’il ne s’agissait pas de la même entité juridique qu’ID, dont les comptes des exercices précédents avaient déjà été clôturés.
“Nous nous battrons devant les tribunaux si nécessaire”, assure un responsable des Patriotes, sous couvert d’anonymat pour parler de sujets sensibles. “Nous avons de très bons avocats et nous sommes sûrs d’avoir raison.”
Mais la commission de Contrôle budgétaire, qui est composée d’eurodéputés de tous les horizons politiques, souhaite que le Parlement entame le processus de récupération des fonds, selon une lettre adressée à la direction du Parlement que la commission approuvera jeudi et qui a été vue par POLITICO.
La commission souhaite également que les chefs examinent les responsabilités financières des membres du personnel et des députés européens pour “autorisation intentionnelle ou par négligence grave de dépenses irrégulières”, selon la lettre.
La décision finale sera prise par les 14 vice-présidents du Parlement, au sein de ce que l’on appelle le bureau.
Le procureur général de l’UE (BPGE) a confirmé à POLITICO qu’il menait sa propre enquête sur la mauvaise gestion des fonds.
Contrats pour les amis et dons irréguliers
Les dépenses visées concernent le budget alloué annuellement par le Parlement aux groupes politiques pour les coûts administratifs et opérationnels, ainsi que pour les activités politiques et d’information liées à leur travail, connu dans le jargon du Parlement sous le nom de ligne budgétaire “400”.
L’audit financier, révélé par Le Monde en juillet, indique que le groupe a enfreint les règles des appels d’offres lors de l’attribution de contrats pour des services de publicité, de community management et d’impression à plusieurs sociétés en Autriche, en France et en Allemagne, pour un montant total d’environ 3 598 803 euros.
“La procédure d’appel d’offres a été menée comme un exercice purement formel, sans démontrer l’intention d’avoir un choix d’offres pour sélectionner le meilleur fournisseur possible”, pointe le rapport.
Ce dernier expose également que des marchés publics ont pu être attribués à des entreprises proches du parti.
Dans un cas, des contrats pour des publicités dans un magazine autrichien ont été directement attribués à une société dirigée par un ancien député européen du parti autrichien FPO, membre du groupe ID et membre actuel de Patriotes, selon le rapport.
“Cela montre que la position de prestataire de services du groupe ID n’était pas le résultat de l’application des règles en vigueur, mais d’une demande purement subjective de la délégation autrichienne, qui n’a pas été validée au regard des règles applicables”, indique le rapport.
Il allègue également que le groupe ID a créé un système permettant à ses membres de faire des dons à des ONG et à d’autres organisations caritatives, notamment en créant illégalement une nouvelle ligne budgétaire, représentant 701 197 euros entre 2019 et 2024.
Pourtant, dans la correspondance échangée avec le service des finances avant le rapport final, l’ancien secrétaire général de l’ID, Philip Claeys ― qui occupe aujourd’hui le même poste au sein du groupe des Patriotes ― a défendu à plusieurs reprises le fait que les dons s’inscrivaient dans le cadre juridique du Parlement et que les marchés publics respectaient également les règles.
L’enquête représente un nouveau coup dur pour le Rassemblement national, après que Marine Le Pen elle-même a été reconnue coupable d’avoir illégalement détourné plus de 4 millions d’euros de fonds du Parlement européen sur une période de douze ans pour rémunérer des employés du parti dans une affaire distincte, compromettant une nouvelle candidature à la prochaine élection présidentielle française.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.