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L’histoire aurait pu être celle d’un député Rassemblement national qui avait enfin trouvé un copain de la majorité avec qui travailler. Ou du “cordon sanitaire” entourant les lepénistes qui se fragilisait. Voici plutôt le récit d’une bourde d’un collaborateur MoDem… et d’une “guerre des Frédéric”. Echanges de SMS, malentendus, cosignature apposée puis retirée dans la nuit et, en fin de compte, une proposition de loi supprimée : POLITICO vous raconte comment le RN a presque réussi à afficher une coopération avec le MoDem.
Les troupes de Marine Le Pen à l’Assemblée nationale, tout à leur stratégie de normalisation et de respectabilisation, auraient adoré pouvoir s’enorgueillir d’une collaboration fructueuse avec la majorité. Sauf que depuis 2022, la grande majorité de leurs propositions sont systématiquement rejetées — autant d’occasions de dénoncer un supposé “sectarisme” de leurs adversaires.
Voilà pourquoi notre premier Frédéric, Boccaletti de son nom, était ravi lundi après-midi. L’élu RN e félicitait d’avoir eu des échanges féconds avec notre deuxième Frédéric, Zgainski cette fois, via leurs collaborateurs respectifs.
Frédéric Zgainski est le rapporteur MoDem d’une proposition de loi visant à “renforcer la démocratie locale et le fonctionnement du conseil municipal”. Son groupe la défendre jeudi 18 janvier, lors de leur niche parlementaire — cette journée durant laquelle un groupe politique a la main sur les textes examinés au Palais-Bourbon.
Objectif de la prise de contact : “Travailler ensemble quelques amendements communs […] pour que nous ne votions pas contre [le texte]”, expliquait Boccaletti lundi. Et de se féliciter qu’un accord ait été trouvé sur l’une de ses propositions, cosignée, en conséquence, par le rapporteur MoDem. “Ça prouve que certains veulent avancer et mettre de côté le sectarisme”, se réjouissait-il.
Au MoDem, deux ambiances
Ces liens ne sont pas une nouveauté au Palais-Bourbon, mais provoquent régulièrement des maux de tête au sein de la majorité, voire les cris d’effroi des élus de Nupes. En mars 2023, ceux-là avaient hurlé au “point de bascule dans l’histoire de la République” en découvrant le nom du MoDem Philippe Latombe apposé sur un amendement du RN Aurélien Lopez-Liguori.
A l’époque, le président des députés centristes, Jean-Paul Mattei, s’était agacé dans Le Figaro : “Il faut arrêter de tomber dans la politique politicienne en disant ‘parce que c’est le RN, ce n’est pas bon’.” Ses élus, comme ceux d’Horizons, se sont à plusieurs reprises montrés moins catégoriques que leurs alliés de Renaissance sur la façon de traiter les 89 députés RN. Ils se disent même prêts à soutenir une proposition lepéniste, pour peu qu’elle soit jugée pertinente. Ils avaient même applaudi un discours de Marine Le Pen.
C’est peut-être ce qui a poussé le collaborateur du Frédéric centriste à envoyer quelques SMS à son homologue, au service du Frédéric frontiste.
Mais voilà : vérification faite, la règle officielle au sein des troupes bayrouistes reste tout de même de ne pas considérer les élus lepénistes “comme des partenaires de coconstruction potentiels”, écrivait lundi via Telegram un communicant du groupe. Qui précisait : “On ne va pas les voir pour négocier sur nos textes.”
D’où le malaise de Zgainski ? Sollicité par POLITICO, l’élu MoDem a d’abord assuré n’avoir “rien cosigné”. Puis, confronté aux captures d’écran de l’amendement où figurait son patronyme, il répondait n’avoir “jamais donné [son] accord”, estimant qu’il s’agissait d’un “coup tordu” du RN. Avant de s’agiter, dans la soirée de lundi, pour faire retirer son nom par les services de l’Assemblée.
Ce n’est pas ce que vous croyez
Sauf que. POLITICO a consulté les SMS échangés entre les collaborateurs de Frédéric Zgainski et Frédéric Boccaletti. Quand le second (du RN) propose au premier (du Modem) de cosigner ledit amendement, celui-ci lui répond par l’affirmative. Dans la foulée, le conseiller centriste assure que son patron donnera un “avis favorable” à l’amendement — en tant que rapporteur, c’est son rôle de se positionner sur les propositions de modifications du texte. Et demande à connaître la position du groupe RN “en contrepartie de cet accord”. Voilà qui commence furieusement à ressembler à de la négociation.
A nouveau interrogé par nos soins mardi matin, Zgainski commence par s’émouvoir : “Vous n’avez pas pu voir ça, c’est impossible…” Puis d’admettre que l’idée défendue par le RN, via cet amendement (l’obligation pour les maires d’inviter l’ensemble du conseil municipal aux événements officiels de la ville), avait semblé “la moins déconnante” des propositions lepénistes.
Son collaborateur aurait échangé “uniquement” à ce sujet avec son homologue et a répondu “un peu vite”, explique le député girondin. Son employé “s’est fait un peu piéger” par le SMS auquel il répond positivement, car ce texto comprenait plusieurs questions. Il se serait aussi “engagé un peu vite”, assure l’élu MoDem, sur un avis favorable de sa part. Pour preuve, le tableau récapitulatif des amendements mentionnait “à trancher” à côté de la proposition de Boccaletti.
Mais de toute cette affaire, vous ne trouverez aucune trace dans les comptes-rendus de l’Assemblée. Ultime rebondissement, mardi en fin de matinée : le groupe de Matteï a finalement retiré le texte de l’ordre du jour de sa niche parlementaire. Faute de “consensus”, justifie un collaborateur, face à un trop grand nombre d’amendements déposés, et dans l’attente d’un autre texte, transpartisan, sur un sujet similaire. Il était alors aisé pour Boccaletti d’en conclure que l’autre Frédéric “n’assum[ait] pas”.