BRUXELLES — L’Union européenne prévoit de proposer cette semaine des sanctions contre davantage d’entreprises chinoises liées à l’effort de guerre du Kremlin, dans le cadre d’une offensive de charme diplomatique visant à persuader le président américain Donald Trump de faire pression sur la Russie pour qu’elle mette fin à la guerre en Ukraine.
Au cours du week-end, Donald Trump a déclaré qu’il se joindrait à l’UE pour renforcer les sanctions contre le président russe Vladimir Poutine, mais seulement si les pays de l’Otan cessaient d’importer du pétrole en provenance de Russie et imposaient des droits de douane de 50% à 100% à la Chine.
En réponse, les diplomates de l’UE veulent montrer leur volonté de mettre fin à ce qu’il reste de leurs achats d’or noir russe — qui ont déjà été considérablement réduits — et de soutenir les efforts de Trump pour serrer la vis à la Chine.
D’après trois diplomates, qui se sont exprimés auprès de POLITICO, l’ajout potentiel d’entreprises chinoises à la liste des cibles faisait partie des discussions sur le 19e paquet de sanctions de l’UE, attendu vendredi. Mais cela est bien en deçà de la demande de droits de douane de Donald Trump, et les ajouts d’entreprises chinoises par le passé n’ont pas réussi à satisfaire le président américain.
Ce dernier a discuté de ce train de mesures avec la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, mardi soir. Dans un message en ligne, elle a déclaré que les nouvelles sanctions viseraient “les cryptomonnaies, les banques et l’énergie”. Sans mentionner la Chine.
Les diplomates de l’UE s’attendent à ce que le président américain ne soit pas impressionné par leurs efforts et soupçonnent même qu’il leur tende un piège.
Ils craignent que les demandes formulées par Donald Trump au cours du week-end — en particulier la demande de droits de douane, que l’UE considère comme impossible — ne soient un stratagème visant à retarder l’action contre la Russie et à rejeter la responsabilité sur les alliés de l’Otan de ne pas avoir pris les mesures énergiques nécessaires pour mettre un terme à la guerre.
“Une partie [du message de Donald Trump] a du sens. Une autre partie consiste à inventer des raisons de ne rien faire”, commente une responsable de l’UE, à qui l’on a accordé l’anonymat, comme à d’autres dans cet article, pour parler d’un sujet hautement sensible.
Un point de vue partagé par un responsable gouvernemental d’un Etat membre. “Trump pose des conditions qui, plus tard, sachant que c’est impossible, serviront de prétexte pour nous dire qu’il ne peut rien faire. En clair, il s’agit d’un jeu visant à éviter toute responsabilité”, estime notre source.
Lors de la réunion des ministres des Finances du G7 de la semaine dernière, alors qu’il y a eu un “accord total” sur la nécessité de mettre la pression sur la Russie et de soutenir l’Ukraine, l’UE s’est montrée réticente face aux exigences de Trump en matière de droits de douane contre la Chine, relate un responsable d’un pays du G7.
“Nous sommes ouverts à tout cela, mais avec d’autres outils”, a-t-il ajouté.
L’UE préfère des sanctions ciblées contre les entreprises liées à la guerre plutôt que des droits de douane généralisés.
Guerre économique
Outre le fait qu’il pourrait renvoyer la balle aux alliés occidentaux, le piège de Donald Trump a également une dimension économique, du point de vue des Européens. Un quatrième diplomate de l’UE soupçonne — sans pouvoir en être sûr — un motif commercial de la part de Trump.
Des droits de douane allant jusqu’à 100% sur les importations en provenance de Chine provoqueraient une inflation stratosphérique en Europe et saperaient son économie. Une interdiction totale de l’énergie russe soutiendrait les ambitions américaines de développer les exportations de gaz naturel liquéfié.
“Le président Trump expose la volonté de Washington d’instrumentaliser les vulnérabilités de l’Europe pour son propre gain géopolitique”, a dénoncé le ministre lituanien de l’Energie Žygimantas Vaičiūnas.
Anne-Sophie Corbeau, chercheuse au Center on Global Energy Policy de l’université de Columbia, a également mentionné un objectif concret : “Il essaie de faire en sorte que l’Europe achète davantage de GNL américain.”
La Commission européenne a souligné qu’elle travaillait déjà depuis plusieurs années à l’abandon des énergies fossiles russes.
“C’est quelque chose que nous faisons activement depuis trois ans, pratiquement, à savoir l’élimination progressive des importations d’énergies fossiles en provenance de Russie. Et nous sommes sur la bonne voie en ce qui concerne nos propres plans”, a affirmé mardi Paula Pinho, porte-parole en chef de la Commission.
Signes de bonne volonté
Même si Donald Trump durcit enfin le ton avec la Russie, conformément aux souhaits de l’UE — identifiant enfin Poutine comme l’agresseur —, les Européens, comme les républicains américains, restent très sceptiques quant à la sincérité de ses intentions.
“La grande question que se posent de nombreux responsables européens est de savoir si cela fera finalement partie d’une stratégie plus cohérente. Ou s’agit-il en fait d’une tentative de l’administration de refiler la responsabilité du conflit et de rejeter la faute sur les Européens pour l’incapacité de Trump à mettre fin au conflit ?”, s’interroge Mujtaba Rahman, responsable de l’Europe à l’Eurasia Group, un think tank.
“Pour être cohérent, le chaînon manquant est bien sûr la volonté de l’administration Trump de s’appuyer sur Poutine, ce que les Européens ne voient pas pour le moment”, a-t-il ajouté.
Le président américain “continue de montrer clairement qu’il n’est pas désireux de donner suite [à ses menaces à l’égard de la Russie]”, renchérit un collaborateur républicain.
Bruxelles marche sur la corde raide entre maintenir Washington dans son camp contre Poutine tout en évitant une rupture avec Pékin, dont l’économie de l’Europe dépend fortement.
“Nous ne voulons pas contrarier la Chine et l’Inde, mais nous essayons de faire notre maximum pour gérer la pression des Etats-Unis”, assure l’un des trois diplomates de l’UE, au fait des discussions sur le 19e paquet de sanctions, qui ont parlé à POLITICO.
Plusieurs pays de l’UE, dont le Danemark et la Pologne, poussent également l’exécutif européen pour qu’il profite des pressions exercées par Donald Trump afin de contraindre la Slovaquie et la Hongrie, qui continuent d’acheter du pétrole russe.
“Je pense que Trump dispose de ce levier. Sur le plan idéologique, ils [la Hongrie] sont les plus proches de MAGA en Europe”, considère un haut responsable de l’UE. “Cela fera-t-il basculer les choses ? Je ne sais pas.”
Interrogée sur les exigences de Donald Trump, la Commission européenne a déclaré qu’elle travaillait en étroite collaboration avec le G7 et les Etats-Unis sur la mise en œuvre des sanctions.
“Nous nous coordonnons étroitement avec tous nos partenaires, en particulier dans le cadre du G7. Bien sûr, à cet égard, les Etats-Unis sont un partenaire d’une importance cruciale”, a insisté lundi Olof Gill, porte-parole adjoint de la Commission européenne, en référence aux récentes visites de David O’Sullivan, envoyé de l’UE à Washington pour coordonner les sanctions.
“On coulerait”
En coulisses, cependant, les diplomates et les responsables de l’UE sont catégoriques : imposer des droits de douane à la Chine — ainsi qu’à l’Inde, comme l’a suggéré Donald Trump la semaine dernière — est inenvisageable, sur le plan politique comme économique.
“Pas de commerce avec la Chine et l’Inde ? On coulerait. Que resterait-il de nous ?” commente un cinquième diplomate européen.
Un sixième ajoute : “Même si nous cédons à la demande et prenons le gros risque, il n’y a aucune garantie que les Etats-Unis nous suivront.”
Historiquement, Bruxelles a fait la distinction entre les droits de douane, considérés comme un outil commercial, et les sanctions, considérées comme un outil de politique étrangère.
Alors que la position de la Commission a évolué ces dernières années, notamment à l’égard de la Russie, plusieurs diplomates ont exprimé des inquiétudes quant à la compatibilité des droits de douane en tant que mesure de politique étrangère — telle qu’envisagée par Trump — avec le droit de l’UE.
En outre, les Etats membres sont loin d’être tous d’accord sur la sévérité avec laquelle l’Union devrait frapper Pékin, compte tenu de sa dépendance économique à l’égard de la puissance asiatique.
Malgré les promesses répétées de diversification des approvisionnements, la Chine représente encore 21% des importations de l’UE. L’Allemagne, dont l’économie est particulièrement liée à celle de l’empire du Milieu, a toujours appelé à la prudence par crainte de dégâts importants dans des secteurs critiques, tels que l’industrie automobile.
Bruxelles cherche donc à recourir davantage à des contrôles ciblés des exportations des entreprises chinoises — par exemple, celles qui vendent des technologies militaires à la Russie —, comme il l’a fait dans le cadre de précédents trains de sanctions.
Le problème, selon Agathe Demarais, du Conseil européen pour les relations internationales, est qu’“une fois que l’on impose des sanctions à ces entreprises, elles rouvrent sous un autre nom”.
“C’est vraiment un combat sans fin”, compare-t-elle.
Jacopo Barigazzi, Nicholas Vinocur, Giorgio Leali, Elena Giordano ont contribué à cet article. Eli Stokols y a contribué depuis Washington. Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.