PARIS — Pour faire tourner les datacenters, moteurs de l’intelligence artificielle, et attirer les investissements, le gouvernement rappelle que la France dispose d’une énergie abondante, décarbonée et pilotable. Des arguments qui ont suffit à convaincre la start-up Mistral AI d’implanter son prochain centre de données dans l’Hexagone.
“Nous avons choisi la France car elle dispose d’une électricité décarbonée et très compétitive”, a expliqué son directeur Arthur Mensch, dans un entretien à POLITICO. Même son rival américain Sam Altman d’OpenAI a mis en avant cet atout, dans une tribune au Monde samedi. Sans annoncer d’investissements en France à ce stade.
En cause : l’empilement des demandes de tous types sur le bureau du gestionnaire de réseau, RTE. Ce dernier est tenu par la loi de répondre à toutes les sollicitations. “Les délais de réalisation de nos projets de datacenters sont passés de deux à trois ans en moyenne à plus de cinq ans et même parfois sept ans”, témoigne le patron de Data4, Olivier Micheli.
“En France, il n’y a pas de problème de production d’électricité, puisque nous en exportons beaucoup, mais bien de réseaux de distribution”, abonde son concurrent Fabrice Coquio de Digital Realty. Il cite l’exemple de la région marseillaise déjà saturée, dans l’attente d’une nouvelle ligne haute tension.
Comme d’autres opérateurs de datacenters, il reproche à RTE, et plus largement aux pouvoirs publics, d’avoir mal anticipé l’évolution des usages et de la consommation électrique, et donc d’avoir sous-investi dans les réseaux.
A tel point que les critères de sélection de l’emplacement des datacenters se sont complètement inversés : l’idée n’est plus de faire venir l’électricité aux datacenters, mais plutôt de construire les datacenters près de l’électricité et des centrales.
De son côté, RTE relativise l’embouteillage de demandes, qui représente environ neuf gigawatts sur les deux dernières années rien que pour les datacenters. Le gestionnaire de réseau souligne que de nombreux projets ne se concrétisent pas, et que certains font plusieurs demandes en parallèle dans différentes régions.
Même son de cloche du côté de l’Elysée. “On a ce phénomène très fort d’annonce, [mais] il y a des projets plus ou moins crédibles, plus ou moins financés”, reconnaît une conseillère élyséenne, qui évoque des “projets parfois fictifs”.
Autre constat : les porteurs de projets ont tendance à surestimer leur consommation d’électricité. Les opérateurs signent en effet des accords avec RTE pour sécuriser à l’avance une puissance électrique à un horizon plus ou moins lointain, mais n’utilisent actuellement que 20 à 30% de la puissance qu’ils ont souscrite. A Marcoussis, Data4 a ainsi signé pour 250 mégawatts, mais n’en utilise pour l’instant que 150.
“Nos hypothèses de demandes de raccordement sont donc assez prudentes, pour tenir compte des nombreuses incertitudes sur ce type de nouveaux consommateurs”, indique une porte-parole de RTE.
Un embouteillage artificiel auquel RTE entend mettre un terme en réaffectant des puissances électriques non utilisées. Un travail mené en lien avec le régulateur de l’énergie, la CRE : elle a pris une première décision en ce sens qui entrera en vigueur au 1er août. Le gestionnaire promet d’autres avancées jeudi, annoncées lors de la présentation de son schéma décennal de développement du réseau.
Les opérateurs de datacenters et leurs investisseurs pourront discuter directement de ces sujets, ce lundi 10 février, avec les patrons de RTE et d’EDF, plusieurs ministres, mais aussi le président Emmanuel Macron, bien décidé à accueillir les infrastructures qui font carburer l’IA.
Parmi les invités de cette réunion à l’Elysée, on retrouve les deux géants américains Equinix et Digital Realty, le français Data4, les fournisseurs de cloud et d’IA Microsoft et Google, l’inévitable Arthur Mensch, ainsi que des investisseurs comme Apollo, JP Morgan, ou encore MGX, le fonds émirati au coeur du deal à plusieurs dizaines de milliards d’euros signé jeudi entre la France et les Emirats arabes unis.
35 sites “clés en main”, vraiment ?
Pour lancer les discussions, qui se poursuivront bien après cette première réunion selon l’Elysée, l’exécutif met sur la table une liste de sites particulièrement adaptés aux datacenters et “clés en mains”. Ces sites, dont certains sont d’anciennes usines ou friches de la SNCF, sont censés réunir tous les prérequis : la disponibilité du foncier, le raccordement effectif au réseau électrique et la connectivité en fibre optique. Enfin presque. Si certains seront prêts dès cette année, la plupart ne le seront qu’à partir de 2027, voire 2030.
La liste communiquée par l’Elysée comptabilise 35 sites, dont certains pourront grimper jusqu’à un gigawatt de puissance. Huit sont situés en Ile-de-France, une région appréciée pour sa proximité avec les grandes entreprises. Mais aucun à Marseille. Pourtant la localisation de la cité phocéenne est considérée comme idéale : y atterrissent de nombreux câbles sous-marins qui connectent l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient.
Reste à savoir si ces sites candidats sont véritablement nouveaux et attractifs. “C’est en partie du réchauffé”, analyse un acteur du cloud. Plus optimiste, le patron d’Equinix en France, Régis Castagné, estime que “tous les sites n’intéresseront pas tous les acteurs” mais que la pré-identification par le gouvernement constitue “déjà une grande avancée”, reprochant un manque de transparence de RTE sur “les sources d’électricité disponibles”.
Selon lui, l’éloignement de certains sites proposés avec les grands centres urbains et les points d’atterrissages des câbles sous-marins n’est d’ailleurs pas forcément dissuasif, dans la mesure où les entreprises du cloud et de l’IA “sont moins sensibles à la problématique de la latence” que ne le sont les banques, par exemple.
De l’amour et des preuves d’amour
Portés par le soutien affiché du gouvernement, les opérateurs se sentent donc pousser des ailes, mais attendent tout de même de voir si celui-ci tiendra parole et fera le nécessaire pour lever d’autres freins à leur implantation. A commencer par les formalités administratives : permis de construire, autorisations environnementales, demandes de raccordement électrique…
Le projet de loi de simplification, maintes fois reporté, doit faire rentrer les grands projets de datacenters dans la catégorie des “projets industriels d’intérêt majeur”. Un sésame qui pourrait accélérer certaines procédures et leur faire gagner de précieuses places dans la file d’attente de RTE. Lequel propose aussi de modifier une circulaire datant de 2002 afin de raccourcir la durée des concertations préalables, histoire de gagner quelques mois.
A condition de ne pas placer la barre trop haut. Data4 milite par exemple pour fixer le seuil d’éligibilité des projets à partir d’une puissance électrique de 100 mégawatts. Equinix attend lui aussi beaucoup de cette loi : il ne prévoit pas d’annoncer d’investissements avant d’obtenir ce statut coupe-file, et des garanties sur le prix de l’électricité.