LONDRES — Dominic Cummings, ancien conseiller de l’ex-Premier ministre Boris Johnson qui a orchestré le Brexit, a d’autres chats à fouetter ces jours-ci.

Mais lundi, il a interrompu son flot de prophéties sur l’immigration, la censure et les échecs des élites politiques pour noter quel terrible accord commercial l’Union européenne avait conclu avec le président américain Donald Trump.

“Grâce au Brexit, nous sommes à l’abri de ce désastre humiliant pour l’UE et des nombreux autres à venir”, a écrit Dominic Cummings dans un post sur X, précédé de deux émojis clown.

Pour un homme connu pour son langage fleuri et son appétit insatiable pour la critique virulente de ses anciens collègues, cette façon de jubiler paraît presque sobre. Peut-être a-t-il estimé qu’il n’était pas nécessaire d’en faire trop, étant donné à quel point l’accord a été mal accueilli au sein même de l’UE.

L’accord commercial que Bruxelles a conclu avec Trump sur son terrain de golf de Turnberry, en Ecosse, dimanche, n’a même pas été salué comme une victoire triomphale par Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne qui l’a négocié. Le mieux qu’elle ait pu dire, c’est qu’il “crée de la certitude en des temps incertains”.

Les chiffres bruts montrent que l’UE, avec des droits de douane de base de 15% sur ses exportations vers les Etats-Unis, a obtenu un résultat pire que le Royaume-Uni qui a négocié une taxe de 10% sur ses biens vendus sur le marché américain. En plus des droits de douane (que l’UE n’appliquera pas aux importations américaines), Bruxelles a engagé les pays européens à dépenser des centaines de milliards d’euros, notamment en énergie américaine.

Le Premier ministre français François Bayrou a déclaré que l’accord représentait un “jour sombre”, déplorant la capitulation de la Commission. Les commentateurs se sont plaints que l’UE ne s’était pas suffisamment battue et qu’elle aurait dû riposter aux menaces douanières de Donald Trump afin de faire une démonstration de force qu’il aurait peut-être pu respecter.

Mais Friedrich Merz, le chancelier allemand, a eu le dernier mot en appelant à un accord rapide, refusant de mettre en péril son économie très dépendante de l’industrie dans une guerre commerciale transatlantique. “Trouvons rapidement une solution, s’il vous plaît”, a-t-il demandé à Bruxelles il y a un mois. Pour l’Allemand, le vieux mantra de négociation des Brexiters — “pas d’accord vaut mieux qu’un mauvais accord” — ne s’applique manifestement pas.

Alors que les détails juridiques des accords de Donald Trump doivent encore être réglés, pour certains membres de l’UE, le résultat apparemment supérieur du Royaume-Uni a été le plus douloureux. “Il semble que nous ayons obtenu des conditions pires que celles du Royaume-Uni”, a déploré Brando Benifei, l’eurodéputé italien qui préside la délégation du Parlement européen pour les relations avec les Etats-Unis. “Ce n’est pas un bon point de départ.”

La question que les responsables européens ne veulent pas poser est de savoir si les manœuvres commerciales transatlantiques de Trump marquent le moment où le Brexit a fini par payer.

Le Brexit, un avantage ?

A Londres, le gouvernement travailliste de Keir Starmer l’a dit avec un ton diplomatique mais a clairement indiqué publiquement que la liberté du Royaume-Uni de suivre sa propre voie en dehors de l’orbite commerciale de l’UE avait été un grand avantage lors des négociations avec Donald Trump.

Mais les diplomates européens rétorquent en privé qu’il n’y a probablement aucun économiste vivant qui prétendrait qu’un accord légèrement meilleur sur les droits de douane avec Trump pourrait compenser les dégâts à long terme que le Brexit a causés à l’économie britannique.

Même si la liberté du Royaume-Uni de conclure son propre accord commercial avec les Etats-Unis a permis à Keir Starmer de marquer facilement des points contre l’UE, son gouvernement ne s’en vante pas. | Photo de pool par Chris Ratcliffe via EPA

Selon l’Office for Budget Responsibility, un organisme de prévision économique indépendant financé par le Trésor britannique, la sortie de l’UE réduira la productivité à long terme de 4%, tandis que les exportations et les importations seront inférieures d’environ 15% à ce qu’elles seraient si le Royaume-Uni était resté au sein de l’Union.

En Europe, cependant, l’accord commercial peu flatteur conclu avec les Etats-Unis a incité certains à revoir leurs critiques à l’égard des efforts déployés par le Royaume-Uni.

En mai dernier, l’UE a dédaigné les grandes lignes de l’accord négocié par le Premier ministre britannique. “Nous ne sommes pas intéressés par ce type d’accord ; ce que nous voulons, ce sont des discussions sérieuses avec les Etats-Unis”, avait commenté un diplomate européen à l’époque, qualifiant l’accord britannique de “bout de papier qui n’a pratiquement aucun impact”.

D’autres sont allés plus loin et ont exclu un accord du type de celui que Londres a accepté. “Si l’accord entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis est ce qu’obtient l’UE, les Etats-Unis peuvent s’attendre à des contre-mesures de notre part”, avait menacé le ministre suédois du Commerce, Benjamin Dousa, en se rendant à une réunion avec ses homologues européens à Bruxelles il y a deux mois.

Dans des commentaires adressés à POLITICO cette semaine, Benjamin Dousa a concédé que l’accord conclu par Ursula von der Leyen était peut-être le meilleur possible, bien qu’il soit loin d’être enthousiaste. “Cet accord ne rend personne plus riche, mais c’est peut-être l’option la moins mauvaise”, a-t-il déclaré.

Comment Starmer a surpassé l’UE

Les négociations avec les Etats-Unis ont tellement mal tourné que même Emmanuel Macron a admis, lors d’un sommet le mois dernier, qu’il accepterait des droits de douane de 10%, comme au Royaume-Uni, si c’était la meilleure offre de Donald Trump. Mais si le président français aurait préféré attendre pour obtenir de meilleures conditions, il ne s’attendait pas, du moins en public, à obtenir un accord plus défavorable que celui des Britanniques.

Quant à Friedrich Merz, il a affirmé qu’il n’était “pas possible d’obtenir davantage”. Pourtant, un coup d’œil de l’autre côté de la Manche montre que ce n’est pas nécessairement vrai.

Comment Keir Starmer a-t-il obtenu de meilleures conditions que l’UE alors qu’il représente un partenaire commercial beaucoup plus petit (et théoriquement moins puissant) ? D’une part, il a décidé dès le début d’accélérer les négociations avec Donald Trump et a réussi à obtenir de meilleures conditions avec les Etats-Unis, en partie parce que les négociations ont commencé rapidement. Ce n’est pas entièrement la faute de l’Europe : pendant des mois, Trump s’est montré réticent même à l’idée de prendre von der Leyen au téléphone.

“Il est évident que Trump ne supporte pas l’UE”, observe Anand Menon, professeur de politique européenne au King’s College de Londres. “[Mais] il a un faible pour le Royaume-Uni et il est évident qu’il a un faible pour Keir Starmer.”

Keir Charmeur

Le Premier ministre britannique a été salué pour la manière dont il a su garder Trump de son côté en usant de son charme, d’invitations flatteuses à rencontrer des membres de la famille royale et de contacts réguliers, notamment par des messages sur WhatsApp.

Tout en restant proche des Américains, Keir Starmer a amélioré les relations entre le Royaume-Uni et l’UE, en apaisant les tensions avec la France, l’Allemagne et Bruxelles et en avançant sur des accords avec l’Union, tant sur le plan commercial que sur le plan de la politique de sécurité.

“Voyons combien de temps cela va durer”, suggère Anand Menon, qui est également directeur du think tank UK in a Changing Europe. “Nous entendons déjà des gens dans l’UE se plaindre du fait que le Royaume-Uni joue sur les deux tableaux.”

L’accord commercial que Bruxelles a conclu avec Trump sur son terrain de golf de Turnberry, en Ecosse, dimanche, n’a même pas été salué comme une victoire triomphale par Ursula von der Leyen. | Oliver Matthys/EPA

Le Royaume-Uni tente de travailler en étroite collaboration avec l’UE sur la coopération en matière de défense, la situation à Gaza, le programme nucléaire iranien et la Russie. Les nouvelles tensions dans les relations causées par la guerre commerciale de Trump n’aideront pas.

L’un des dossiers post-Brexit qui pourraient créer des tensions est — comme toujours — la question très sensible des règles qui s’appliqueront de part et d’autre de la frontière avec l’Irlande du Nord.

Selon les termes des accords conclus par Donald Trump, les entreprises de la République d’Irlande (qui fait partie de l’UE) exporteront vers les Etats-Unis en appliquant des droits de douane de 15%, tandis que celles de l’autre côté de la frontière, en Irlande du Nord (qui fait partie du Royaume-Uni), bénéficieront de droits de douane moins élevés, à savoir 10%. “Cela ne fera que remettre la question du Brexit sur le devant de la scène”, anticipe Anand Menon.

Tout bénef pour Farage

En fin de compte, même si la liberté du Royaume-Uni de conclure son propre accord commercial avec les Etats-Unis a permis à Keir Starmer de marquer facilement des points contre l’UE, son gouvernement ne s’en vante pas — et il est peu probable qu’il soit remercié.

Les électeurs britanniques sont plus enclins à associer le Parti travailliste de Starmer à une volonté de revenir sur le Brexit (il avait soutenu auparavant les appels à un second référendum) qu’à un défenseur d’une Global Britain conquérante. Pour remporter les élections l’année dernière, Keir Starmer s’est engagé à ne pas réintégrer le Royaume-Uni dans l’union douanière ou le marché unique de l’UE.

Tout ce qui ressemble à une victoire pour le Brexit est plus susceptible de favoriser un rival déjà puissant : le parrain du retrait du Royaume-Uni de l’UE, Nigel Farage. Son parti Reform UK est désormais en tête des sondages, avec une avance de huit points sur le Parti travailliste, et menace d’écourter la décennie au pouvoir souhaitée par Keir Starmer.

Les homologues de Nigel Farage au sein de la droite populiste ailleurs en Europe ont également trouvé dans l’accord avec Donald Trump de quoi alimenter leur discours anti-Bruxelles. Dans un post publié lundi sur X, Alice Weidel, cheffe de file du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD), a écrit : “L’UE a été brutalement menée en bateau !”

En France, la triple candidate d’extrême droite à la présidentielle, Marine Le Pen, a qualifié l’accord avec les Etats-Unis de “fiasco politique, économique et moral”, ajoutant que “l’Union européenne, à 27 Etats membres, a obtenu de moins bonnes conditions que le Royaume-Uni”.

Malgré tout le succès de Keir Starmer, il ne se fera pas d’amis en Europe s’il est utilisé comme preuve que la politique mainstream de l’UE n’est pas à la hauteur des attentes des électeurs ordinaires. Comme souvent dans la longue et tortueuse histoire du Brexit, même les gagnants finissent par perdre.

Clea Caulcutt et Josh Berlinger ont contribué à cet article depuis Paris.

Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.

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